Il y a six mois, nous atterrissions à Managua, épuisés par le voyage, par les semaines de préparatifs et les multiples rebondissements qui ont jalonné notre projet de partir. En arrivant nous avions une idée plus au moins claire du contexte institutionnel dans lequel nous allions travailler, des compétences professionnelles qui seraient sollicitées et du temps que nous y consacrerions.
Ce que nous savions ignorer, c’étaient les contingences locales : la culture – et la langue - que nous ne connaissions pas, la pauvreté qui était alors la projection d’une généralité à laquelle manquaient les difficultés spécifiques, ce que serait notre quotidien, celui de nos enfants, et une foule de petites choses qui font l’intérêt de la découverte et pour lesquelles nous étions prêts à nous adapter.
Six mois plus tard, qu’en est-il ? La fatigue reste, les adaptations demandant de l’énergie. Mais elle est devenue plus naturelle, de celle qui frappe tout un chacun dans une période de changement ou de travail plus soutenu que d’habitude. Nous nous sommes adaptés, c’est certain. Nous parlons et travaillons en espagnol, les enfants sont intégrés dans le quartier et suivent comme les autres le programme scolaire sans traitement de faveur, nous mangeons essentiellement nicaraguayen et si nous vivons plus simplement qu’en Suisse, c’est pour vivre plus près des gens d’ici. Les gens d’ici… ! Nous sommes entrés dans leur vie parce que leur porte etait grande ouverte, parce que malgré tout ce qui nous sépare (richesse, sécurité dans tous les domaines, possibilité de retrouver un confort « abandonné » de plein gré, billet d’avion sous la main, quoiqu’il arrive, …), ils nous ont accueilli à bras ouverts, nous pilotant à travers les méandres des différences qu’eux connaissent, nous conseillant au mieux, selon leurs critères, nous rendant attentifs à des dangers que nous ne soupçonnions pas, riant de ceux que nous imaginions. Bref, nous intégrant en douceur dans leurs expressions courantes, leurs coutumes, nous faisant le cadeau, parfois, de leurs confidences.
Dans notre travail, c’est là que les choses ont connu le plus de mouvements. Notre cahier des charges paraissait pourtant clair ! Oui, clair selon nos standards, selon nos références. Ici, un professionnel de la communication est un journaliste, un éducateur spécialisé est un professeur, un avocat dirige la Radio Estereo Libre et une enseignante d’école secondaire assure une partie du secrétariat du Club. Bueno ! Vamos a aclarar.
L’idée de départ était que j’appuie la Radio dans son projet d’indépendance financière. J’étais censée, en ma qualité de pro de la communication être au fait des métiers de la radio, du travail de journaliste, du paysage médiatique nicaraguayen et des moyens à mettre en œuvre pour trouver des solutions. Seulement voilà ! Mes compétences professionnelles et mes diverses formations, si elles ne m’ont pas permis de répondre à ces attentes – ce n’est pas mon métier – m’ont amenée, avec Olivier, à effectuer une analyse institutionnelle du Club dans son entier, mettant en évidence des manques cruels en termes de stratégie de communication qui sont, en grande partie, responsables de la précarité financière de la Radio ! Après six mois, la question « mais qu’est-ce que je fais ici ? » n’a plus de sens. Aujourd’hui, j’attends avec impatience quelqu’un à former, pour qu’on puisse ensemble trouver les solutions, établir ces stratégies, les mettre en œuvre et que je devienne inutile au Club. C’était le but !
Quant à notre « suissitude », jamais notre identité n’a été plus évidente. Nous restons des Suisses, ou pour le moins des Européens, immergés et adaptés à la vie nicaraguayenne. Nous travaillons d’arrache-pied, même si cela reste moins que certains au Club, et nettement moins que beaucoup de Nicas.
J’aime ce pays. Je m’y sens bien. J’apprends beaucoup. Je n’ai pas envie de rentrer. Pas tout-de-suite.