Ici au Nicaragua les maisons n’ont pas de numéro. En général on utilise un lieu connu pour définir une adresse. Pour trouver le domicile de Leonel, l’administrateur du Club Infantil, il faut aller « del puente Centroamerica, una cuadra arriba » soit, en français : du pont Centroamerica, un quartier en haut. Plus précis tu meurs !
Ayant besoin du pick-up du Club pour nous rendre lundi matin à Yalí, Corine et moi, pour y donner un cours, je vais, tout bon Suisse que je reste, demander la clé du véhicule le vendredi précédent. Leonel me répond qu’il laissera les clés au gardien du Club car il doit aller à Managua le dimanche.
Lundi matin, 6h30, nous débarquons au Club, réclamant lesdites clés au gardien de service, qui m’apprend qu’elles n’y sont pas. Quelques coups de fils rageurs et sans succès et coups de gueule évacuateurs de tensions plus tard, je me renseigne auprès du pauvre gardien dans le but d’aller réveiller le fauteur et, pourquoi pas, lui remonter les bretelles qu’il ne porte de toute façon pas.
J’arrête un taxi - tiens, celui-ci ne me demande pas les règles grammaticales de la langue suisse - et je me fais déposer approximativement au domicile du coupable. Fort heureusement, une charmante dame m’indique tout approximativement l’adresse de Leonel vers laquelle je fonce tête baissée. Après plusieurs coups colériques à la porte, appelant Leonel d’une voix hargneuse, j’entends finalement s’ouvrir le loquet et, une autre charmante dame aux yeux embués de sommeil de m’expliquer que Leonel ne vit pas là, qu’elle ne connaît que quelqu’un travaillant au Club Infantil à l’autre quartier, à la cinquième ou sixième maison…
Si je parviens courtoisement à prononcer quelques paroles d’excuses, ma colère contre mon gaillard augmente. Si en plus d’oublier de rendre les clés, il a l’outrecuidance de ne pas habiter là où je voudrais qu’il se trouve, il y a de quoi penser à de la provocation pure et simple ! Bon, sur les dernières indications, je me dirige vers ma nouvelle destination, toujours prêt à tout renverser sur mon passage. Lorsque je me trouve devant le supposé repaire du ci-nommé, je recommence l’opération coups à la porte et appels nerveux. Un gars à moitié habillé me répond timidement que je dois m’être trompé mais qu’il va se renseigner. Il revient quelques instants plus tard en me disant que non, il n’y a pas de Leonel dans cette rue… Merci, pardon, au revoir, et me voilà devant la porte suivante avec, quand même, l’idée d’un peu plus de douceur dans mon frapper et dans ma voix. Bien m’en a pris, car ma quête auprès des quatre maisons suivantes fut toutes aussi infructueuses.
Je croise finalement un chauffeur de taxi de ma connaissance qui, par pitié ou pour la sérénité du quartier, me redirige à ma première adresse. Et vers ma première charmante dame qui, entretemps, s’est renseignée et, me prenant par la main, me conduit à la bonne porte.
Et là, dans un paroxysme de colère enveloppé d’un tout petit doute, je toque fermement à la porte, tout en appelant rageusement mon Leonel. Et Leonel apparaît. Ou plus exactement, j’aperçois une clé dans l’entrebâillement de la porte et j’entends, dans un borborygme, un approximatif « p…me, se me olvidó ! (*!&<+∑@§!!!…, j’ai oublié !)». C’est à cet instant que ma colère tombe : je suis en retard, Leonel m’a fait rire, j’ai perdu toute envie de lui botter les fesses et j’ai réveillé tout le quartier !