« Venez pour regarder, venez pour escalader nos montagnes, pour admirer nos fleurs. Venez pour étudier. Mais, par pitié, ne venez pas pour aider. » Ce cri du cœur d’Ivan Illich, un évêque mexicain à l’intention d’étudiants américains qui s’apprêtaient à partir pour 1 mois au Mexique effectuer un « séjour d’aide humanitaire », fut lancé dans les années… 60 ! En effet, s’il serait ici fastidieux de relater toute l’histoire de l’action humanitaire, on peut déjà dire qu’entre ce qu’ont connu nos Grands-parents et ce qu’on fait aujourd’hui en termes de coopération, il y a un monde. Il ne s’agit pas, en aucun cas, de remettre en cause les actions menées aux diverses époques, mais bien de réévaluer, à la lumières des apprentissages successifs, le bien fondé de toute initiative, qu’elle soit humanitaire ou coopérative. Un peu ce qu’on fait finalement dans à peu près tous les domaines professionnel, au fil du temps !
Durant notre séjour en Suisse, et ce malgré nos diverses interventions (blog, lettre circulaires, courrier personnels, …), nous avons été l’objet de nombreux commentaires du style « c’est bien d’aider les autres », ou « heureusement qu’il y a des gens comme vous pour leur apporter tout ça », « quel courage… », etc. Autant de remarques devant lesquelles, si nous en comprenons bien les bonnes intentions de leurs auteurs, nous ne pouvons nous contenter de garder le silence. S’il est assez évident que, pour nous, le monde ne tourne pas exclusivement autour de notre propre nombril, il est tout aussi clair, que ce n’est pas non plus le cas, à de très rares exceptions près, de la totalité des personnes qui nous entourent ! Ici et là-bas. Chacun fait ce qu’il croit bien de la manière qu’il croit juste et avec ses choix de vie. En ce qui nous concerne, notre choix était professionnel et aventurier. Nous avons mis nos compétences professionnelles à la disposition d’un employeur. La seule différence avec ce qu’on avait fait avant est géographique. Bien sûr, c’est une aventure formidable, plus, plus, plus ! Mais ça, c’est de la littérature ! Ou, si vous préférez, ce qu’on apprend d’une expérience particulière et différente de celles qu’on connaissait avant !
Nous nous sommes rendu compte qu’il y a autant de types différents de coopération, que d’organisations coopératives ! Notre engagement avec E-Changer, et sa notion de coopér-action nous convient à plus d’un titre. D’abord, nous sommes engagés sur 3 ans, ce qui nous permet de bien connaître tous les aspects formels et informels de l’association dans laquelle nous travaillons, et de corriger notre tir, si j’ose dire. Ensuite, nous recevons une indemnité de vie qui, si elle tout-à-fait suffisante pour vivre très correctement avec nos 4 enfants, elle nous permet aussi d’appréhender au quotidien les conditions de vie des personnes avec lesquelles on travaille, même si les nôtres restent un peu meilleures. Cela dit, dans notre cas, nous vivons avec moins d’argent mensuel que la coordinatrice du Club ! On peut déjà oublier les voitures avec chauffeur et autre vacances dans des hôtels de luxe ! Et si ce blog contient un certain nombre de photos de nous sur la plage avec les pieds en éventail, c’est seulement parce que le Nicaragua est bordé par le Pacifique et la Mer des Caraïbes ! Et lorsqu’il s’agit de revenir d’un voyage en Suisse, c’est un collègue qui se fait un point d’honneur de venir nous chercher à l’aéroport, comme il le ferait pour n’importe quel autre collègue.
Au niveau de notre travail proprement dit, nous n’occupons pas de position hiérarchique et nous n’avons aucun pouvoir de décision au sein de l’Association. Même si dans certains cas, et nous en connaissons, le coopérant prend peu à peu un pouvoir qui sort des ses attributions, pouvoir souvent prêté par ses propres collègues, soit trop heureux de se décharger de certaines responsabilités, soit convaincus que ce qui vient du Nord est forcément meilleur que ce qu’ils savent faire. Alors que faisons-nous ici, me direz-vous ? Eh bien nous travaillons dans un constant échange de compétences et de manières de faire. Et l’intérêt, toujours professionnel, est multiple et va dans les deux sens : l’association bénéficie d’un regard extérieur qui effectue un diagnostique institutionnel et apporte certains éléments manquants à l’amélioration de ses processus. Dans notre cas, une méthodologie éducative qui vient renforcer et formaliser le travail éducatif déjà effectué depuis 17 ans avec tout les succès qu’on connaît ; et une stratégie de communication qui s’inscrit dans un renforcement institutionnel en constante évolution, et qui améliore l’efficacité de ce qu’ils font déjà. Ajoutons à cela, les spécificités d’un travail dans un pays aussi pauvre que le Nicaragua, où nous servons d’interface dans la recherche d’informations, de connaissances théoriques et de fonds proprement dits. De l’autre côté, nous élargissons notre expérience professionnelle en terme de pratique, d’adaptabilité d’outils et personnelle, de flexibilité et de connaissances générales.
Appliquez le paragraphe ci-dessus au poste de n’importe quel helvète pur poil au profil professionnel semblable en Suisse, est vous n’y trouverez que peu de différences !
Pourquoi alors être venus jusqu’ici pour exercer un métier que nous pourrions exercer chez nous, avec en plus un salaire plus élevé ? A cause du Pacifique, sans doute… Nous ne connaissons pas encore la côte caraïbe. Mais peut-être aussi parce que notre engagement dans cette association a des buts plus larges, puisque le Club, dans son souci de toujours favoriser le protagonisme infantile, fonctionne comme un mouvement social ; philosophiquement, nous travaillons donc aussi dans ce but commun d’auto-détermination d’un pays sous perfusion financière. L’idée de coopér-action à la sauce E-Changer va plus loin. Elle présuppose aussi la remontée vers le Nord de cette expérience, de ces informations et de la sensibilisation à la situation locale. Pas seulement - et heureusement d’ailleurs – de ces aspects négatifs, mais bien dans tout ce qu’elle peut apporter de plus, de mieux (eh oui !) et de simplement différent. Nous avons chez nous choisi un certain modèle de société qui influe bien sûr sur tout la vie sociale, pratique professionnelle comprise. Notre modèle n’est pas parfait. Les autres non plus. Mais ensemble, il est possible de faire mieux. Et c’est à cela que nous nous employons à notre modeste niveau. Voilà ce qu’on est venu faire ici, au bord du Pacifique.